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Décoloniser les carrières : briser les chaînes de l’invisibilisation professionnelle des personnes racisées et repenser radicalement la gestion des talents.

  • Photo du rédacteur: Dominique Bergiers
    Dominique Bergiers
  • 11 févr.
  • 5 min de lecture

Le marché du travail en Europe n’est pas un espace neutre. Il est fondamentalement structuré par une histoire coloniale et impérialiste qui a façonné les normes du professionnalisme, de la compétence et de la réussite. Ces dynamiques se traduisent par une gestion des talents profondément inégalitaire, qui marginalise systématiquement les travailleurs racisés et perpétue des biais discriminants sous couvert de méritocratie.

Derrière le discours de la diversité et de l’inclusion, les structures restent malheureusement inchangées: les employé·es racisé·es restent sous-représenté·es dans les postes de leadership, font face à des plafonds de verre persistants et voient leurs compétences remises en question plus souvent que leurs homologues blancs. Décoloniser les carrières ne signifie pas simplement ouvrir les portes d’un système inchangé, mais reconstruire un modèle de gestion des talents affranchi de l’héritage colonial.


Décoloniser les mentalités : chronique d'une gestion des talents ancrée dans le racisme systémique

La gestion des talents en Europe repose sur des standards historiquement façonnés par des références occidentales blanches, qui ont longtemps exclu ou marginalisé les travailleurs racisés. Plusieurs mécanismes structurels contribuent à cette marginalisation:


1. Le recrutement discriminatoire : un tri social et racial déguisé

L’accès à l’emploi et aux opportunités professionnelles est profondément biaisé dès les premières étapes du recrutement. On sait qu'un candidat au nom perçu comme “non-européen” a au-moins 30 % de chances en moins d’être convoqué à un entretien, à compétences égales (source: Institut Montaigne, 2020).

  • Les CV anonymes et les tests de compétences sont rarement mis en place, laissant place à des décisions largement influencées par des biais inconscients et des stéréotypes raciaux.

  • Les critères de sélection valorisent des parcours “standardisés”, souvent liés aux grandes écoles et aux expériences dans des entreprises prestigieuses – des institutions historiquement peu accessibles aux travailleurs racisés.


2. La sur-exigence et la sous-évaluation des talents racisés

Une fois en poste, les professionnel·les racisé·es sont soumis·es à une double exigence:

  • Prouver en permanence leur légitimité, face à des collègues et supérieurs qui les perçoivent comme “moins compétents” par défaut.

  • Faire face à une moindre reconnaissance de leurs compétences et performances, ce qui ralentit leur progression et les expose à une stagnation professionnelle.

Des études de terrain montrent en effet que les employé·es racisé·es font l'objet d'une surveillance plus stricte, qui sous-entend que leur travail n’est pas à la hauteur des attentes (Iceberg Management, 2019). Ce phénomène peut être décrit comme un biais de perception de compétence, où les minorités doivent constamment justifier leur légitimité face à des standards implicites façonnés par des biais raciaux. Les employé·es racisé·es doivent par conséquent souvent “surperformer” pour pouvoir accéder aux mêmes opportunités que leurs collègues blancs.


3. L’évaluation du potentiel et le succession planning: l’étiquetage invisible qui freine les carrières racisées

Dans la plupart des grandes entreprises, la progression professionnelle ne repose pas uniquement sur la performance réelle, mais aussi sur une évaluation subjective du "potentiel" des employé·es. Or, ce processus est profondément opaque et truffé de biais, avec des effets particulièrement délétères pour les personnes racisées.

  • Un étiquetage précoce et persistant: Dès l’embauche, les employé·es sont catégorisé·es en “high potential” (fort potentiel) ou “low potential” (faible potentiel), influençant toutes les décisions ultérieures en matière de formation, promotion et développement de carrière. Ce processus opaque rend difficile pour les personnes étiquetées "faible potentiel" de modifier cette perception, surtout en l'absence de retours transparents. Les biais inconscients dans ces évaluations peuvent conduire à une sous-estimation des compétences des personnes racisées, les maintenant dans des rôles subalternes malgré leurs efforts pour progresser.

  • Un processus non transparent : Contrairement aux évaluations de performance, les employé·es ne sont généralement pas informé·es de leur classement, et il est quasi impossible de sortir de la catégorie "low potential" une fois attribuée.

  • Un filtrage racialisé du leadership : Des études montrent que les professionnel·les racisé·es sont moins souvent perçu·es comme ayant du "potentiel", car ils/elles ne correspondent pas aux stéréotypes du leadership dominant (homme blanc, issu d’un parcours académique élitiste).

Ce système crée un cercle vicieux où les personnes racisées sont maintenues dans des postes d’exécution, sans jamais accéder aux rôles stratégiques ou décisionnels. Elles passent des années à chercher une reconnaissance qui ne viendra jamais, tandis que leurs collègues blancs sont activement préparés à des postes de leadership.


4. L’exclusion des réseaux d’influence et des opportunités de leadership

Dans les entreprises, les réseaux informels jouent un rôle central dans la mobilité interne et l’accession aux postes de direction. Or, les professionnel·les racisé·es restent massivement exclus·es de ces cercles:

  • Absence de mentorat et de parrainage stratégique : Les hautes sphères managériales sont majoritairement blanches, et les affinités culturelles jouent souvent un rôle implicite dans le choix des futurs leaders.

  • Accès limité aux opportunités stratégiques : Les professionnel·les racisé·es sont souvent cantonné·es à des rôles opérationnels et techniques, et rarement positionné·es sur des projets à haute visibilité.

Ces mécanismes forment un "labyrinthe d’obstacles invisibles", qui ralentit voire empêche la progression des talents racisés dans la hiérarchie professionnelle.


Décoloniser les perceptions de soi: déconstruire l’intériorisation du racisme structurel

Face à un système qui les marginalise, les professionnel·les racisé·es intériorisent souvent des doutes et des croyances limitantes imposés par des normes dominantes qui ne reconnaissent pas leur plein potentiel. Cette auto-censure, décrite par le concept de "syndrome de l’imposteur racial" conduit à:

  • Une autocensure dans la prise de parole et la revendication de promotions

  • Une hyper-adaptation aux codes du "professionnalisme blanc", au détriment de l’authenticité et de la créativité

  • Une normalisation des micro-agressions et discriminations, par peur de représailles ou d’être perçu·e comme "trop revendicatif·ve"

Briser ces schémas passe par une réappropriation de l’identité professionnelle des travailleur·ses racisé·es, et par la valorisation d’un leadership pluriel qui ne demande plus aux minorités de "s’assimiler" pour s'intégrer, mais qui les positionne comme des acteurs incontournables du changement.


Décoloniser les carrières : repenser radicalement la gestion des talents en Europe

Le modèle actuel de gestion des talents doit être fondamentalement déconstruit. Quelques pistes pour une transformation réelle:

  • Démanteler les critères de recrutement discriminatoires : adoption du CV anonyme, tests de compétences, et audits réguliers des pratiques RH.

  • Lutter contre les biais inconscients: formations systématiques et obligatoires pour les recruteurs et toute personne impliquée dans le processus de recrutement (screening de CVs, entretiens d'embauche, etc.)

  • Réformer les méthodes d’évaluation et de promotion: s’assurer que les critères de performance sont objectivés et non influencés par des biais culturels.

  • Normaliser le mentorat pour les talents racisés et imposer des objectifs de diversité dans les programmes de leadership.


Un impératif de justice et de transformation systémique

Décoloniser la gestion des talents n’est pas une faveur accordée aux minorités, c’est une nécessité pour un monde professionnel réellement équitable.

L’émancipation professionnelle n’est pas une option, elle s’impose comme une évidence et une nécessité. Le marché du travail européen ne changera pas de lui-même : il doit être déconstruit et réimaginé sur des bases nouvelles.



Série Light of Truth | Cet article s’inscrit dans une réflexion plus large sur les mécanismes systémiques d’exclusion dans le monde de l'entreprise, et les stratégies de réappropriation des espaces professionnels par les personnes racisées. Il est temps d’agir.



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