top of page
Rechercher

Quand on attend de nous que l’on encaisse: parentalité, santé mentale et racisme ordinaire

  • Photo du rédacteur: Dominique Bergiers
    Dominique Bergiers
  • 7 avr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 avr.

Cet article fait partie de la série: "Ce que je ressens, ce que je tais, ce que j’écris"

Je traverse des années compliquées. Mon énergie émotionnelle est souvent au plus bas, et cela se reflète sans doute dans mon apparence. C’est aussi ça, la santé mentale : des hauts, des bas, et parfois, la fatigue se voit. Alors oui, dans la vie de tous les jours, je ne suis pas toujours tirée à quatre épingles, au regard des standards de la société. Et j’ai le droit d’exister comme ça. Mais je sens bien que les regards et les jugements posés ne s'arrêtent pas à moi.


Je suis aussi maman de deux petits garçons. Des enfants doux, drôles, sportifs. Des enfants qui, comme beaucoup à cet âge, oublient parfois de se changer après le cours de gym, surtout quand il a lieu l’après-midi, juste avant la fin de la journée, et qu’ils savent qu’ils vont se doucher en rentrant. Rien d’alarmant. Rien d’inhabituel. Pourtant, lorsque la prof de sport vient me faire la remarque pour la deuxième fois (après d'autres incidents raciaux déjà très inconfortables), je sens immédiatement une vieille douleur familière remonter.


Ce qui me dérange profondément, au-delà de l'étrange obsession vestimentaire sur mes enfants, c’est évidemment la manière dont cette remarque résonne avec toutes celles que j’ai entendues, petite, en tant qu’enfant afro, sur mon hygiène supposée, sur mes cheveux... Bref, une hyper-surveillance, un hyper-contrôle sur mon corps.


Ce sont des réalités que beaucoup d’enfants noirs et racisés ont vécues, et que beaucoup de parents comme moi tentent de dépasser sans les oublier. Mais voilà, ces expériences restent gravées en nous. Alors, quand une prof répète à deux reprises une remarque qui pourrait sembler banale, mon corps, lui, se souvient. C’est une douleur ancienne. Celle de l’enfant que j’ai été, qu’on a regardée comme si elle était sale. Ou pire : insalubre. Je n'oublierai jamais cette "amie" de ma mère adoptive (blanche) qui lui avait demandé un jour si c'était safe pour son bébé d’être près de ma soeur et moi. Une douleur qui revient me frapper aujourd’hui, non pas parce qu’elle est nouvelle, mais parce qu’elle s’inscrit dans une histoire que je n’ai jamais cessé de porter.


Ce que j'entends aussi, c'est que mon propre état de vulnérabilité est interprété non pas comme un besoin d’empathie, mais comme un indice de négligence, un signe que je ne fais pas "ce qu’il faut", que je suis potentiellement "défaillante" en tant que mère. Cette idée, profondément enracinée, que parce que je suis afro, que je ne corresponds pas aux codes attendus, que je suis fatiguée, que je ne masque pas ce que je vis, je serais forcément une mère négligente. Que mon enfant serait donc suspect, lui aussi.


Ce n’est pas juste un rappel logistique. C’est un rappel au déséquilibre des regards.


Parce que soyons honnêtes : combien d’enfants blancs oublient de se changer après le sport, sans que leurs parents soient interpellés deux fois à ce sujet ? Combien sont présumés négligents, mal encadrés, mal "éduqués", alors qu’ils ne font qu’être des enfants, avec des comportements d'enfants?


Cette hyper-surveillance du corps des enfants noirs, ce contrôle du moindre détail, c’est quelque chose que nous portons depuis des générations. Ce sont des mécanismes hérités, parfois inconscients, mais très bien ancrés. Et ce sont eux qui nous font mal, pas la simple remarque.


Ce qui est encore plus difficile, c’est le fait de ne pas pouvoir en parler librement.


Parce que si j’exprime ma peine, je risque de passer pour agressive. Si je m’effondre, ce sera perçu comme une exagération. Et si j’essaie de garder mon calme, ma douleur sera minimisée, rationalisée, effacée: "ce n’est pas méchant", "c’est pour aider", "tu prends les choses trop à cœur". Mais moi, je vis avec ces couches de douleur et de vigilance depuis l’enfance. Et aujourd’hui, elles sont ravivées, non seulement parce que mes enfants sont visés, mais parce que je me rends compte que malgré les années, malgré mes efforts pour construire un environnement serein, ces préjugés continuent de s’infiltrer dans les inconscients.


Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cette prof me met dans une position inconfortable. Il y a quelque temps, un autre élève avait chanté quelque chose de raciste dans le bus. Et au lieu de reconnaître la gravité de la situation, elle est venue me voir pour m’expliquer qu’il s’était “trompé dans les paroles” et que “ce n’était pas volontaire”. Elle a voulu désamorcer sans jamais nommer. Me rassurer, sans reconnaître. Et une fois de plus, on s'attendait à ce que j'encaisse, que je contienne, que je fasse bonne figure, alors que je savais très bien ce que j’étais en train de vivre: une tentative de minimisation, un glissement de responsabilité, un effacement du racisme sous couvert de bonne foi.

Et cette absence de remise en question est d’autant plus violente qu'elle cherche à se légitimer par une proximité avec une personne racisée de son entourage. Une personne qui pourrait, peut-être, l’amener à interroger ses biais, mais qui choisit au contraire de “rassurer”, et en ce fait, de minimiser, elle aussi, et de détourner le regard. Et c’est aussi ça, le problème : quand même celles et ceux qui pourraient nommer les choses choisissent le confort des non-dits. Quand l’écoute s’efface derrière la protection du confort et de l’entre-soi, même au sein des cercles supposément “alliés”.

 

Alors j’écris. Non pas pour attaquer, mais pour témoigner.


J’écris pour que d’autres parents qui vivent ce genre de micro-agressions, qui sentent leur ventre se nouer à la sortie de l’école, sachent qu’ils ne sont pas seuls.


J’écris parce que nos émotions sont valides. Nos colères sont fondées. Et nos enfants ont le droit de vivre, de transpirer, de courir, de rire, sans être constamment ramenés à des stéréotypes.


Je n’ai rien à me reprocher. Mes enfants non plus. Et c’est exactement pour ça que cette peine doit être nommée.

 
 
 

3 Comments


Media
Apr 08

Merci pour tes mots et ton témoignage.

Like

Kabote
Apr 08

Un témoignage nécessaire et qui donne la voix aux parents marginalisés pour leur prise de conscience. Merci pour le partage, nous n’avons pas à nous sentir mal de survivre à notre histoire et d’essayer d’en écrire une meilleure pour nos enfants. T’es une mère en or, tes enfants ont la chance de t’avoir.

Like
Dominique Bergiers
Dominique Bergiers
Apr 08
Replying to

Merci pour ces mots 🙏🏽✨

Like

©2024-2025 BLACK.BY.US

    bottom of page